CAP 2024, ça commence maintenant !
Dans la rubrique Actualité du crédit
15 septembre 2021, l’ordonnance 2021-1190 est publiée, suivi d’une première version des spécifications externes. Bien sûr, au-delà de la confirmation de la réforme dans son ensemble, l’événement marquant est le décalage de calendrier, souhaité par beaucoup. Et il est vrai que les travaux de concertation avec la Mission Facture Électronique (DGFIP et AIFE) ont montré toute l’ambition de cette réforme, et la nécessité de laisser à chaque acteur de l’écosystème le temps de se préparer, de prendre conscience de ce qu’elle signifie, d’inscrire cette réforme dans une trajectoire qui va drastiquement changer les pratiques et les usages entre clients et fournisseurs s’agissant du traitement de leurs factures, et probablement par extension de la commande ou la contractualisation jusqu’au paiement. La relation avec l’Administration devrait aussi être considérablement modifiée, passant à un mode de contrôle en continu, détectant les erreurs pour les corriger au plus vite, et ciblant les contrôles là où ils sont nécessaires et efficaces.
Alors pourquoi 18 mois de décalage au démarrage ? Déjà pour tenir compte de la nécessité d’une phase de pilote et d‘initialisation, à compter de janvier 2024. Rappelons en effet qu’à compter du 1er juillet 2024, tous les assujettis devront avoir désigné leur(s) plateforme(s) pour recevoir leurs factures électroniques : PDP (Plateforme de Dématérialisation Partenaire) ou PPF (Portail Public de Facturation, nouvelle génération de ChorusPro). Donc, il faudra que le PPF et la plupart de ceux qui ont vocation à être PDP soient prêts et opérationnels début 2024.
Et bien sûr, rien n’empêche de commencer avant en anticipant 2024, c’est-à-dire en s’appuyant sur les formats normalisés choisis, en s’habituant à partager les statuts de traitement, et donc la valeur ajoutée du passage à la facture électronique, et en mettant en œuvre une interopérabilité effective entre futures PDP.
Enfin, on peut aussi comprendre qu’il s’agit là d’un planning pris en connaissance de cause et avec réalisme, avec suffisamment de délai pour ne pas avoir à y revenir, ni d’excuse pour justifier une incapacité à faire.
Les grandes lignes de la réforme.
1. Le schéma en Y
Tout d’abord, le choix a été de s’appuyer sur une architecture mixte publique / privée composée d’un Portail Public de Facturation (PPF) et de Plateformes de Dématérialisation Partenaires (c’est-à-dire partenaires de l’Administration) qui constituent ensemble un réseau d’échange et de contrôle des factures et de leurs statuts de traitement.
2. Les formats
Pour pouvoir imposer une obligation d’émettre, il fallait commencer par une obligation de recevoir pour toutes les entreprises, et définir quels formats allaient s’imposer à tous au minimum. Logiquement, les formats de données normalisés à l’échelle européenne ont été retenus : XML UBL et XML UN/CEFACT CII conformes à la Norme sémantique EN16931. Mais il fallait aussi garantir la lisibilité des factures pour les destinataires, notamment les plus de 3,8 millions de PME / TPE et microentreprises. Ce sera une obligation des PDP et PPF de savoir produire une représentation lisible des factures.
Il fallait aussi tenir compte de la capacité des entreprises à produire des factures électroniques avec des données structurées alors qu’elles sont en grande majorité uniquement capables de produire des factures PDF et des données restreintes associées pour indexation ou traitement. Le format hybride Factur-X, facture PDF contenant un fichier de données au format standard UN/CEFACT CII a été conçu pour cela et fait aussi partie des formats minimum à accepter en réception. Plusieurs profils de données sont disponibles, à commencer par le « BASIC », identifié depuis 2017 comme fortement recommandé pour permettre un traitement automatisé de bout en bout, et contenant toutes les informations requises par l’Administration. De plus, Factur-X est nativement une facture lisible par tous, puisqu’en PDF.
A côté de cela, il existe des pratiques sectorielles spécifiques, avec des besoins particuliers et des flux déjà très intégrés sous des formats divers, en général structurés (on dit aussi « EDI »). Ils pourront continuer à se développer pour peu qu’ils passent entre PDP et qu’un flux normalisé de données de factures soit transmis par les PDP à l’Administration fiscale via le PPF. Il s’agit du flux 1 (cf spécifications externes) composé uniquement de mentions obligatoires des factures, en parallèle du flux 2 qui est la facture électronique originale elle-même, qui doit contenir a minima les données du flux 1 (requis par l’Administration) sous forme structurée. Donc, plus de facture PDF simple à terme, mais a minima du Factur-X. Et ça n’est pas bien compliqué à anticiper dès maintenant.
Donc pour résumer 3 formats| obligatoires en réception :
UBL, UN/CEFACT CII et Factur-X, contenant les mentions obligatoires sous forme structurée (celles qui sont dans le flux 1 défini dans les spécifications externes). Possibilité d’utiliser tout autre format, s’il contient les données du flux 1 et s’il est transmis entre PDP. Une tolérance sur le niveau de données du flux 1 est prévue jusqu’en janvier 2026 (sans les données de ligne), ce qui sera surtout utile pour ceux qui pratiquent Factur-X sans les lignes (profil BASIC WL) au démarrage.
3. Les obligations des PDP : Plateformes de Dématérialisation Partenaires
En émission, les PDP devront contrôler les factures à émettre (présence de mentions obligatoires et quelques règles de gestion) et arrêter celles qui ne sont pas conformes. Une fois formellement validées, les données requises par l’Administration ayant été extraites et mise au format UBL ou UN/CEFACT CII, elles devront être transmises à l’Administration (flux 1) en parallèle de la transmission de la facture électronique originale (le flux 2) à la PDP du destinataire (d’où le nom de schéma en Y). Si nécessaire, une représentation lisible devra être produite par la PDP sur demande ou nativement (Factur-X).
En réception, les PDP devront réceptionner les factures électroniques reçues (le flux 2), réaliser des contrôles pouvant conduire à un rejet (par exemple en cas de mauvais adressage ou d’absence de relation commerciale active), notifier le destinataire et lui permettre de les prendre en charge, c’est-à-dire de les traiter. Pour ce faire, il est possible, comme aujourd’hui, de créer une représentation lisible (ce sera même une obligation des PDP sur demande des destinataires) et de livrer un flux de données pour intégration.
Le cycle de vie : toute cette phase de transmission de bout en bout fera l’objet d’un partage de statuts permettant de tracer la transmission de la facture jusqu’à son destinataire. Il est ensuite prévu des échanges de statuts d’avancement du traitement pour signifier une approbation, un litige, une suspension en attente d’information complémentaire, et finalement le paiement de la facture, dès lors que le destinataire des factures décide de partager ces informations. Il s’agit là d’une bonne pratique qui apporte de la visibilité au fournisseur et fluidifie à la fois le traitement des factures et la gestion de trésorerie. Espérons donc que ceci contribuera à ce que le cerveau gauche des entreprises connecte le cerveau droit, c’est-à-dire que le besoin de partage de statuts en position de fournisseur conduise à faire l’effort de partager les statuts en position de client dans une même entreprise.
Ensuite, les PDP auront aussi en charge d’alimenter et mettre à jour l’annuaire national des entreprises (cf ci-dessous), nécessaire pour localiser la PDP ou le PPF du destinataire des factures.
Enfin, les PDP et le PPF constituent un réseau d’échange qui doit garantir une sécurité des échanges et une confidentialité des informations. C’est pourquoi il sera exigé des PDP (et du PPF) de démontrer un niveau de sécurité minimum quant à l’exploitation des données, avec une certification ISO 27001 pour un hébergement avec des moyens propres (salle, machines, logiciels) ou SecNumCloud en cas d’hébergement en nuage en mode service.
Il sera aussi demandé aux PDP de participer à la sécurisation des accès des utilisateurs finaux, qui ne doivent avoir accès qu’à ce qui les concernent. En cible, l’utilisation d’une identité numérique professionnelle substantielle est fortement anticipée.
Il reste cependant à gérer le cas de tiers qui émettent des factures pour le compte des fournisseurs, que ce soient des clients (auto-facturation), des places de marchés, des distributeurs et même des prestataires de service qui agissent pour le compte des émetteurs sans être eux-mêmes des PDP (identifiés comme Opérateurs de Dématérialisation dans les spécifications externes). A voir dans les versions ultérieures des spécifications externes.
Les PDP devront se faire immatriculer pour 3 ans, renouvelable. Elles devront se faire auditer par des tiers indépendants sur leur respect des exigences réglementaires dans les 12 mois de leur immatriculation.
4. L’annuaire et l’interopérabilité
Un système d’échange implique un système d’adressage et souvent un annuaire pour trouver l’adresse du destinataire, voire ses exigences en terme de données, de règles de gestion.
La réforme prévoit pour ce faire un annuaire national, opéré par le PPF (Portail Public de Facturation) où chaque entreprise pourra être identifiée, a minima au niveau identité juridique au travers de son SIREN, et le cas échéant plus spécifiquement au niveau de son établissement (SIRET) ou de Code(s) de Routage transverse(s) à son organisation. Le résultat est que l’entreprise disposera d’une ou plusieurs adresses de réception de factures, à laquelle ou auxquelles elle associera soit le PPF soit une PDP.
Ainsi, les entreprises émettrices pourront consulter cet annuaire pour connaître les adresses électroniques de réception des factures de leurs destinataires, et la PDP émettrice pourra localiser la PDP du destinataire pour initier l’échange direct de factures électroniques.
Ceci permettra d’organiser une portabilité native, puisque les entreprises pourront conserver leurs adresses en cas de changement de PDP.
Pour assurer la fluidité des échanges, toutes les PDP devront être connectées au PPF, qui pourra donc toujours transmettre des factures sous les formats du socle minimal à la PDP du destinataire. Néanmoins, l’esprit de la réforme est que les PDP soient interopérées lorsqu’elles ont des flux en commun. Toutefois, il n’est exigé à ce stade d’une PDP qu’elle ne soit connectée qu’à au moins une autre PDP. En effet, l’interopérabilité engendrant encore un coût significatif bilatéral, il aurait été excessif d’exiger à toute PDP d’être connectée à toutes les autres a priori. Ceci aurait aussi introduit une barrière à l’entrée croissante du fait de la multiplication de liens d’interopérabilité à construire avec la multiplication des PDP.
Il y a donc un enjeu à relever par les futures PDP sur la mise en œuvre d’un réseau interopéré couplé à l’annuaire national, permettant à toute PDP de s’interconnecter avec n’importe quel autre PDP de façon « automatique » dès lors qu’elle l’a identifiée dans l’annuaire national.
Il existe un protocole d’échange financé par la Commission Européenne pour adresser cette problématique, dénommé CEF e-delivery, implémenté par PEPPOL en Europe et dans d’autres région du monde, mais aussi par l’EESPA (Association des Prestataires de Services de e-invoicing) avec EIN (European Infrastructure Network, et recommandé par les travaux du GIF (Global Infrastructure Framework).
C’est donc le moment de passer de la théorie à la pratique.
5. Le e-reporting
Il sera aussi obligatoire de transmettre des éléments de facturation ou de vente sur tout ce qui ne relève pas de factures électroniques domestiques. Il s‘agit donc des ventes B2C, des ventes B2B internationales et des acquisitions intracommunautaires. De plus, pour les ventes pour lesquelles la TVA est exigible à l’encaissement (y compris pour les ventes B2B domestique), il faudra déclarer l’encaissement.
Il faut noter que sur tous ces flux, il n’y a aucune obligation de facture électronique, mais juste une transmission de données de facture ou de vente permettant notamment de préremplir les déclarations de TVA.
Il s’agit donc d’une accélération de déclaration TVA, avec un plus grand détail et sous forme de fichiers structurés.
Pour les entreprises au régime normal de TVA, ce e-reporting devra être fourni par décade, sous 4 jours, c’est-à-dire le 14 de chaque mois pour les flux du 1er au 10, le 24 pour les flux du 11 au 20, et le 4 du mois suivant pour les flux du 21 au dernier jour du mois.
Pour les entreprises au régime simplifié, ce e-reporting devra être fourni chaque mois, sous 7 jours.
En fonction des canaux de vente et la production de factures ou pas, les données seront remontées au détail de vente (à la facture) ou en cumulé par jour (cas des logiciels de caisse). Ces informations seront transmises au travers des PDP (qui pourront par exemple les construire sur la base des flux de facturation qu’elles seraient amenées à gérer en émission, ou en proposant des outils de saisie en ligne), ou du PPF.
Il s‘agira a priori des mêmes informations que celles du flux 1 pour les factures domestiques (les mentions obligatoires d’une facture), à l’exception des ventes B2C qui feront l’objet d’un flux plus restreint (dit flux 3), notamment pour satisfaire aux obligations RGPD et du fait qu’il s’agisse plus de tickets que de factures. Globalement, il est attendu un cumulé quotidien ou un détail par vente, explicitant la TVA, par taux.
Il est toutefois à noter qu’il reste de nombreux points à préciser sur ce dispositif, ce qui fera l’objet des versions ultérieures des spécifications externes, attendues en novembre et décembre 2021. Nous y reviendrons donc.
6. Les conséquences pour les entreprises
Tout d’abord, il va être nécessaire pour les entreprises d’identifier leurs clients par leurs n° de SIREN, et de pouvoir distinguer les ventes de biens des ventes de service ou mixte, puis signifier le choix de l’option de la TVA sur les débits pour les factures dont la TVA est normalement exigible à l’encaissement (nouvelles mentions à indiquer dans les factures).
Elles devront ensuite faire le choix d’une ou plusieurs plateforme(s) de réception des factures avant le 1er juillet 2024, et probablement aussi d’émission.
Une mise à plat de leurs canaux de vente et de facturation d’une part, et de leurs canaux d’achat d’autre part, seront probablement nécessaires pour organiser leurs flux de facturation en amont et en aval du système d’échange PDP / PPF.
Dès qu’une entreprise sera en capacité de produire des factures électroniques conformes aux exigences de la réforme (par exemple dans l’un des 3 formats du socle minimal : UBL, CII ou Factur-X), elle pourra anticiper la réforme et transmettre 100% de ses factures B2B domestiques au plus tôt au 1erjuillet 2024.
Les obligations d’archivage et les modes de conformité fiscale (cf article 289 VII du CGI) restent inchangées. Les entreprises doivent donc archiver leurs factures originales, soit elles-mêmes soit par sous-traitance à un tiers (par exemple un Opérateur de Dématérialisation), et notamment à sa PDP. Lorsque l’entreprise a choisi le PPF, celui-ci conservera les factures qu’il traite. La conformité des factures est construite par défaut au travers des contrôles documentés et permanents permettant d’établir une piste d’audit fiable entre la facture et la livraison de biens ou services qui en est le fondement, renforcé par la traçabilité du système d’échange apporté par la réforme. Mais elle peut aussi relever de l’application d’une signature électronique qualifiée (y compris avec un cachet électronique RGS**), ou du mode EDI (CGI 289 VII 3°), qui peut être réalisé par les PDP, des Opérateurs de Dématérialisation ou des solutions logicielles locales.
Tout ceci va conduire à un plus grand respect de la réglementation. Par exemple, il ne sera plus possible d’ignorer une facture reçue, sauf à en signifier le rejet formellement et rapidement (à ce jour sous 24h d’après les spécifications externes), par exemple parce que le fournisseur est inconnu du destinataire ou qu’aucune prestation ou livraison n’a été faite ou qu’aucune facture n’est attendue.
Par contre, cette réforme va permettre aux entreprises de disposer de données de facturation fiables et exploitables à grande échelle, ainsi qu’une traçabilité de l’échange et un partage des statuts. Tout ceci permettra une plus grande automatisation des traitements comptables et opérationnels, et devrait contribuer à une accélération des paiements. De plus, les entreprises disposeront aussi de dates certaines du fait de l’horodatage des statuts, venant objectiver les délais de paiement. N’oublions pas en effet qu’un des objectif est aussi de réduire les délais de paiement.
Enfin, l’esprit qui sous-tend la réforme est un contrôle continu, ce qui implique un traitement continu, notamment comptable et déclaratif. Fini la boîte à chaussure de fin de mois ou de trimestre. Le lettrage facture / encaissement devra aussi être rapide a minima pour les factures pour lesquelles la TVA est exigible à l’encaissement.
Il est important de prendre conscience de ce que ce principe va apporter. Les factures vont être comptabilisées et traitées plus automatiquement et rapidement, grâce aux données contenues au minimum dans les factures, fiables et exploitables immédiatement. Ceci ouvre la possibilité d’avoir une vision temps réel de ses encours, de détecter des signaux faibles et d’anticiper des difficultés de trésorerie. Ceci permet donc le développement de solutions pour aider à la gestion opérationnelle, par l’analyse d’une vision quasi temps réel de l’activité reposant sur les flux de factures. Enfin, l’accélération des traitements ouvre une plus grande capacité de mise en place de solutions de refinancement puisque les factures peuvent être approuvées bien avant leur date d’échéance, que ce soit au travers d’un escompte dynamique ou de l’affacturage à la demande, ce qui participera aussi à l’accélération des flux financiers relatifs à l’activité commerciale des entreprises. Et tout ceci fonctionnera d’autant mieux quand la quasi-totalité des factures s’inscriront dans la réforme, ce qui milite pour un rythme rapide et synchrone de déploiement.
Tout ceci nécessite donc de se préparer à aborder le sujet dès les prochaines semaines. Une version finale des spécifications externes devrait être publiée en décembre, puis des décrets d’application, arrêtés et bulletins officiels des impôts à horizon Q1/Q2 2022. C’est donc bien parti !
Le FNFE-MPE continuera d’accompagner le mouvement, pour faire en sorte que cette réforme soit un succès et que chacun puisse en tirer ses bénéfices. N’hésitez pas à nous rejoindre et à participer à nos travaux.
Article rédigé par Cyrille Sautereau Président du FNFE-MPE (Forum National de la Facture Electronique et des Marchés Publics Electroniques)
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